miércoles, abril 03, 2013

“El viajero”, de Guillaume Apollinaire









A Fernand Fleuret




Abridme esta puerta donde yo golpeo llorando
La vida es variable como el Euripo

Tú mirabas descender un tropel de nubes
Con el navío huérfano hacia las fiebres futuras
Y de todas estas añoranzas, de todos estos arrepentimientos
¿Te acuerdas?

Olas peces arcas flores supermarinas
Una noche era el mar
Y los ríos aquí se derramaban

Lo recuerdo aún

Una noche entré en un albergue triste
Al lado de Luxemburgo
En el fondo de la sala levantaba el vuelo un Cristo
Alguien tenía un hurón
Otro un erizo
Se jugaba a las cartas
Y tú me habías olvidado

¿Te acuerdas del largo orfanato de las estaciones?

Cruzábamos ciudades que giraban todo el tiempo
Y vomitaban de noche el sol de los días

Oh marineros oh mujeres sombrías y vosotros compañeros míos
Recordaos

Dos marineros que jamás se habían separado
Dos marineros que jamás se habían hablado
El más joven muriendo cayo de costado

Oh queridos compañeros
Campanillas eléctricas de las estaciones canto de las segadoras
Trineo de un carnicero regimiento de las calles sin nombre
Caballería de los puentes noches lívidas de alcohol
Las ciudades que he visto vivían como locas

¿Te acuerdas de los arrabales y del rebaño quejumbroso de los paisajes?

Los cipreses proyectaban la luna bajo sus sombras
Yo escuchaba esta noche en el crepúsculo del verano
Un pájaro lánguido y siempre irritado
Y el ruido eterno de un río largo y sombrío

Pero mientras los moribundos rodaban hacia el estuario
Todas las miradas de todos los ojos
Las orillas estaban desiertas los prados silenciosos
Y la montaña al otro lado era muy clara.

Entonces sin ruido sin que se pudiese ver nada vivo
Contra el monte pasaron sombras vivas
De perfil o a menudo girando sus vagos rostros
Y sosteniendo la sombra de sus lanzas adelante

Las sombras contra el monte perpendicular
Se agrandaban o tal vez se humillaban bruscamente
Y estas sombras barbudas lloraban humanamente
Deslizándose paso a paso sobre la montaña clara

¿A quién pues reconoces en estas viejas fotografías?
¿Te acuerdas del día en que una abeja cayó en el fuego?
Era al final del verano ¿recuerdas?

Dos marineros que jamás se habían separado
El mayor llevaba al cuello una cadena de hierro
El más joven arreglaba sus cabellos rubios en trenzas

Abridme esta puerta donde golpeo llorando
La vida es variable como el Euripo




en Alcoholes, 1913









Ouvrez-moi cette porte où je frappe en pleurant / La vie est variable aussi bien que l'Euripe / Tu regardais un banc de nuages descendre / Avec le paquebot orphelin vers les fièvres futures / Et de tous ces regrets de tous ces repentirs / Te souviens-tu / Vagues poisons arqués fleurs surmarines / Une nuit c'était la mer / Et les fleuves s'y répandaient / Je m'en souviens je m'en souviens encoré / Un soir je descendis dans une auberge triste / Auprès de Luxembourg / Dans le fond de la sale il s'envolait un Christ / Quelqu'un avait un furet / Un autre un hérisson / L'on jouait aux cartes / Et toi tu m'avais oublié / Te souviens-tu du long orphelinat des gares / Nous traversâmes des villes qui tout le jour tournaient / Et vomissaient la nuit le soleil des journées / Ô matelots ô femmes sombres et vous mes compagnons / Souvenez-vous en / Deux matelots qui ne s'étaient jamais quittés / Deux matelots qui ne s'étaient jamais parlé / Le plus jeune en mourant tomba sur le coté / Ô vous chers compagnons / Sonneries électriques des gares chants des moissonneuses / Traîneau d'un boucher régiment des rues sans nombre / Caalerie des ponts nuits livides de l'alcool / Les villes que j'ai vues vivaient comme des folles / Te souviens-tu des banlieues et du troupeau plaintif des paysages / Les cyprès projetaient sous la lune leurs ombres / J'écoutais cette nuit au déclin de l'été / Un oiseau langoureux et toujours irrité / Et le bruit éternel d'un fleuve large et sombre / Mais tandis que mourants roulaient vers l'estuaire / Tous les regards tous les regards de tous les yeux / Les bords étaient déserts herbus silencieux / Et la montagne a l'autre rive était très claire / Alors sans bruit sans qu'on put voir rien de vivant / Contre le mont passèrent des ombres vivaces / De profil ou soudain tournant leurs vagues faces / Et tenant l'ombre de leurs lances en avant / Les ombres contre le mont perpendiculaire / Grandissaient ou parfois s'abaissaient brusquement / Et ces ombres barbues pleuraient humainement / En glissant pas à pas sur la montagne Claire / Qui donc reconnais-tu sur ces vieilles photographies / Te souviens-tu du jour ou une abeille tomba dans le feu / C'était tu t'en souviens à la fin de l'été / Deux matelots qui ne s'étaient jamais quittés / L'aîné portait au cou une chaîne de fer / Le plus jeune mettait ses cheveux blonds en tresse / Ouvrez-moi cette porte ou je frappe en pleurant / La vie est variable aussi bien que l'Euripe
















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